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« Adieu De Gaulle ! » : l’État ébranlé

Le modèle de l’État fort, instauré par le putsch de De Gaulle en 1958 et les institutions de la Ve République, subit de plein fouet la fronde soixante-huitarde.


On s’est beaucoup interrogé sur la nature exacte de la crise et son ampleur. Si le nez sur l’événement n’est pas toujours bon conseiller, l’éloignement risque d’aplatir les aspérités et de réinterpréter ce qui s’est passé à la lumière de ce qui a suivi. Mais si, pour aller vite, et pour parler comme Marx, l’anatomie de l’homme éclaire bien celle du singe, et si les événements sont déterminés, il n’y a pas de fatalité historique. Et, comme le disait Rosa Luxemburg, la responsabilité historique existe de ceux qui, à un moment ou un autre, ont eu à prendre des décisions qui, à partir de là, engageaient évidemment la suite.

On a parlé de crise d’autorité, de crise de la domination à tous les niveaux, dans les familles, dans les professions, dans les organisations et les institutions, des micropouvoirs au pouvoir suprême. Et, comme l’incarnation nationale, centrale de cette autorité, sans partage depuis la Constitution de la Ve République, était son général-président, âgé de surcroît de 78 ans, on comprend que le patriarche ait focalisé l’ire générale. Dans la force de l’État fort gaulliste résidait aussi sa faiblesse : si les intermédiaires sont réduits à la portion congrue, en cas d’insatisfaction, la revendication remonte immédiatement à celui qui assume toutes les responsabilités ; si le Bonaparte joue les arbitres, s’appuie sur les camps opposés, arrive un moment où le jeu n’est plus possible et où il faut trancher – par conséquent, perdre son apparente neutralité ainsi que l’audience qui allait avec. Comme l’a dit Edgar Morin, 1968, c’est aussi le « meurtre du père ».

Si l’antigaullisme n’est pas l’anticapitalisme, si la remise en cause des institutions de la Ve République à partir de la contestation du pouvoir de son chef n’est pas encore le refus de l’État bourgeois et l’affirmation de l’objectif d’une République des conseils, autogérée et planifiée, la dialectique de la radicalisation, des mobilisations et des prises de conscience peut permettre de passer « naturellement » de l’un à l’autre.

Si les organisations syndicales, au tout début, avaient prévu une journée nationale de mobilisation, elles n’étaient pas du tout prêtes à contester cette République, et elles refusaient, avant la nuit des barricades, que cette journée ait lieu le 13 mai, soit, de fait, pour le dixième anniversaire du coup d’État à Alger qui avait amené de Gaulle au pouvoir. Il est clair qu’elles craignaient que s’enclenche une dynamique politique dont elles ne voulaient pas. Et, évidemment, ce jour-là, en dehors des mots d’ordre officiels, on entendit surtout : « Dix ans, ça suffit ! » et « À bas l’État policier ! », mots d’ordre en négatif certes, mais l’expression de ce qu’on refuse est déjà une affirmation.

Et, le 24 mai : « Son discours on s’en fout ! », « Adieu de Gaulle (bis), adieu… [sur l’air des lampions] ! », au moment de l’annonce du référendum… qui n’aura pas lieu, autre claque pour le patriarche, pour laquelle les organisations traditionnelles de gauche n’ont été pour rien. On pourrait décrire les innombrables affiches de l’Atelier populaire des Beaux-Arts, où il était le personnage principal contesté. Son profil, comme celui du garde mobile ou du CRS, était omniprésent. Si, fin mai, dans les sphères politiques, on commence à évoquer un gouvernement provisoire, un gouvernement de transition au cas où, si le PCF et la CGT manifestent « pour un gouvernement populaire » (au moment où on entend « Il est parti à Colombey, qu’il y reste ! ») et si, dans Le Nouvel Observateur, on parle même d’Assemblée constituante, les questions institutionnelles elles-mêmes ne sont pas au cœur des revendications. Le débat à la Chambre sur la motion de censure paraît légèrement irréel et déphasé, les manifestants ne font pas le siège de l’Assemblée nationale et personne ne réclame le retour au régime d’Assemblée de la IVe République, qui a péri sans gloire dix ans auparavant. L’offre de De Gaulle d’une solution électorale à la crise sera accueillie par un soupir de soulagement du côté des états-majors, qui s’étaient déjà précipités sur les négociations de Grenelle, redonnant ainsi au gouvernement une légitimité qu’il avait largement perdue. Avec les élections, on se retrouve enfin en terrain connu. On sait ce que coûta à la gauche d’avoir vendu son droit d’aînesse pour un plat de lentilles.

Mais cette crise venait de loin. Le capital d’autorité de De Gaulle, parti avec 80% des électeurs avec lui, avait commencé à être ébranlé dès 1963, avec la grève des mineurs, quand ceux-ci s’étaient assis sur son décret de réquisition. On peut dater de ce moment la remontée des luttes qui allait atteindre des sommets en 1968. Sa mise en ballottage au premier tour de l’élection présidentielle de 1965 fut un deuxième signal d’alerte. Ajoutons que le Viêt-nam, en arrière-fond, après l’Algérie qui venait d’arracher son indépendance en montrant qu’on pouvait résister, même en tant que petit peuple paysan, à la plus puissante armada du monde, était un encouragement à ne pas se laisser impressionner par les autorités en place, quelle que soit leur force apparente. Et, enfin, ce 1er mai 1968, tenu sans demander d’autorisation, et qui renouait avec des traditions disparues depuis la guerre d’Algérie. Le 11 mai, le ministre Fouchet rappelait que les attroupements et manifestations étaient et demeuraient interdits ! Et les premières grèves débutaient en oubliant totalement le dépôt de préavis légalement exigés depuis plusieurs années…

Évidemment, cette grève générale posait objectivement la question du pouvoir. Quand 8 millions de salariés avaient arrêté de travailler pour leurs patrons, se posait immédiatement la question de qui décide, de qui commande, de qui est obéi. Vu comment, après 1968, l’État a modifié, perfectionné, renforcé ses systèmes de communication, ses matériels, équipements et personnels de répression, on se rend encore mieux compte à quel point cet État fort a alors été fragilisé. Cependant, le pouvoir avait, dès mai, prit la mesure de la crise et, malgré tiraillements, hésitations, tergiversations, il avait très vite réoccupé, par exemple, télécoms et centraux téléphoniques, tout en préparant la manifestation de l’Étoile, en s’appuyant sur ses réseaux politiques extra-institutionnels – Comités de défense de la République (CDR), créés le 7 ou le 8 mai, et le Service d’action civique (SAC), service d’ordre gaulliste réactivé. Le premier tract gaulliste sort, à plusieurs millions d’exemplaires, le 19 mai : « Non à l’anarchie ! » La visite à Massu symbolise parfaitement la volonté d’intimidation, le possible appel menaçant au « dernier recours », sans pour autant que les forces de police, le contingent et les généraux pro-Algérie française ne soient d’une fiabilité totale face à des millions de travailleurs mobilisés. Avant sa visite à Massu, le 28 mai, le Général avait reçu, dans son bureau, les chefs d’état-major de l’armée.

Tout cela n’empêchera pas que de Gaulle avait fait son temps et que, premier effet différé de Mai 68, il soit battu au référendum de 1969 et se retire définitivement sur ses terres. La bourgeoisie n’aura pas de Bonaparte de rechange et n’est pas Bonaparte qui veut, mais les institutions nées d’un autre contexte, cristallisation d’un rapport de force, résistèrent, non sans quelques aménagements (décentralisation, cohabitations diverses, etc.). L’État fort, où l’exécutif décide et dirige, est fonctionnel au capitalisme du troisième âge, même ultralibéral. Pas le régime parlementaire.

Jean Pierre Debourdeau.


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