En 1871, l’empereur Napoléon III règne depuis son coup d’Etat du 2 décembre 1851. Peu à peu lâché par ses soutiens, il voit dans la guerre de 1870 avec la Prusse l’unique moyen pour tenter de durer. Las ! son armée capitule à Sedan et il est lui-même fait prisonnier. A cette nouvelle, le peuple parisien se soulève et la République est proclamée le 4 septembre, avec la volonté de "chasser l’envahisseur prussien". Un gouvernement bourgeois de la "Défense nationale" est constitué, alors que Paris subit un siège terrible.
Le 8 février 1871 est élue une Assemblée nationale composée en grande majorité de royalistes représentant les "ruraux". Elle siège à Bordeaux et élit Thiers chef du pouvoir exécutif. Celui-ci se rend à Versailles pour négocier la capitulation avec Bismarck (elle est signée le 26 février).
A Paris, la Garde nationale regroupe tous les hommes valides (200 bataillons et 170000 hommes). Ils sont bien armés, disposent de centaines de canons payés avec leurs deniers et ont des chefs élus. Inquiet devant leur farouche volonté de résistance, Thiers veut s’emparer des canons qu’ils ont regroupés à Montmartre. C’est la fameuse journée du 18 mars, qui voit le début de la révolte populaire : peuple et soldats fraternisent, le gouvernement s’enfuit à Versailles accompagné par une troupe démoralisée.
Sans qu’il l’ait sollicité le moins du monde, le pouvoir va retomber entre les mains du comité central de la Garde nationale, composé de petits-bourgeois modérés, sortis du peuple, ayant horreur de l’illégalité et de la violence, et dont le plus cher désir est de laisser la place à un conseil municipal régulièrement élu. Celui-ci verra le jour le 28 mars : ce sera le conseil général de la Commune. Sur 90 élus, la majorité sont des révolutionnaires (parmi eux 25 ouvriers), mais ils vont se partager en 3 groupes qui vont s’affronter en permanence : l’Internationale (la première, l’Association internationale des travailleurs) ; le parti blanquiste ; la majorité va aux "jacobins", petits-bourgeois rêvant d’une révolution seulement politique.
Mesures sociales et symboliques
Insurrection populaire devenue en quinze jours une véritable révolution sociale, la Commune a pris de nombreuses décisions exemplaires. Enumérons d’abord les mesures sociales : remise des loyers ; création des futures Bourses du travail ; suppression du travail de nuit chez les boulangers ; interdiction des amendes et des retenues sur salaire dans les ateliers et les administrations ; suppression des monts-de-piété ; enseignement obligatoire, laïque et gratuit avec intégration de l’instruction professionnelle ; recensement des fabriques abandonnées pour être remises à des coopératives ouvrières.
Il y eut également des mesures à portée hautement symbolique : suppression de l’armée permanente, remplacée par la Garde nationale dont tous les citoyens doivent faire partie ; élection et révocabilité de tous les responsables dans l’administration, la justice, l’enseignement et la Garde nationale ; limitation du traitement des employés de la Commune à celui d’un ouvrier ; séparation de l’Eglise et de l’Etat. Très symboliques furent également la démolition de la "colonne impériale de la place Vendôme", l’incendie de la maison de Thiers et la crémation de la guillotine.
Modernité de la Commune
Il convient cependant d’insister particulièrement sur deux aspects essentiels qui mettent en évidence la "modernité" de la Commune : ils concernent la question des femmes et celle des étrangers.
Les femmes ont pris une part massive aux mobilisations et se sont organisées en comités de quartier. Si Louise Michel est bien connue, il ne faut pas oublier Elisabeth Dimitrieff, qui a créé la première Union des femmes. Plus de mille d’entre elles passeront en conseil de guerre et les "pétroleuses", accusées d’avoir incendié les maisons bourgeoises, seront flétries par de célèbres écrivains, tel Alexandre Dumas fils (l’auteur de "la Dame aux Camélias") qui osera s’exprimer ainsi : "Nous ne dirons rien de leurs femelles par respect pour les femmes à qui elles ressemblent - quand elles sont mortes."
Quant aux étrangers, ils furent des centaines à participer à la Commune et, fait unique dans l’histoire mondiale, plusieurs d’entre eux occupèrent des postes de direction : les meilleurs généraux étaient polonais (Dombrowski et Wroblewski) et le ministre du Travail fut un Juif hongrois, ouvrier bijoutier, Léo Frankel. Il avait été élu au conseil général de la Commune suivant les recommandations ci-après de la commission des élections : "Considérant que le drapeau de la Commune est celui de la République universelle ; considérant que toute cité a le droit de donner le titre de citoyen aux étrangers qui la servent (...), la commission est d’avis que les étrangers peuvent être admis, et vous propose l’admission du citoyen Frankel." Le citoyen Frankel n’aurait pas eu cet honneur sous le règne du "socialiste" Jospin...
L’écrasement de la Commune par les armées de Versailles est bien connu : le 21 mai commence la "Semaine sanglante", le plus effroyable massacre pratiqué par un pouvoir aux abois, désireux de se venger et d’écraser pour longtemps la classe ouvrière (plus de 20000 morts, des milliers de condamnés et déportés outre-mer).
Faiblesses et leçons
De ces 72 jours, Marx, Engels, Lénine, Trotsky ont tiré de nombreuses leçons. Tous sont d’accord pour souligner les principales faiblesses de la Commune : elle a montré les limites de la spontanéité des masses, leur fantastique essor s’est accompagné d’une tendance à s’arrêter en chemin et à se contenter des premiers succès. C’est malgré lui que le prolétariat parisien s’est retrouvé au pouvoir et, dépourvu de direction révolutionnaire consciente, il a laissé passer toutes les occasions d’écraser son ennemi : ses deux principales erreurs furent de ne pas immédiatement marcher sur Versailles et de vouer un respect sacro-saint à la propriété privée et notamment à la Banque de France (qui finança largement Versailles).
Avec la Commune, Marx s’est vu renforcé dans son idée que l’Etat bourgeois ne se réforme pas mais doit être brisé et remplacé par d’autres institutions. La Commune avait commencé à le faire mais très timidement et les représentants de cet Etat bourgeois à qui les atermoiements de la Commune avaient donné la possibilité de se reconstituer à Versailles, bien que "républicains", ont accompli le pire carnage ouvrier de l’histoire française.
Enfin, ce qui est peut-être la leçon essentielle de la Commune et a été démontré par toutes les expériences révolutionnaires ultérieures : des organisations révolutionnaires bien préparées sont indispensables. Jamais, nulle part, une insurrection populaire spontanée n’est parvenue à renverser le régime capitaliste et à assurer le pouvoir des travailleurs. Si l’existence d’une ou de plusieurs organisations révolutionnaires liées aux masses est nécessaire, le déroulement des révolutions russe, chinoise ou vietnamienne a montré qu’elle n’était pas suffisante pour assurer l’édification d’une société véritablement socialiste autogérée. La nature de l’organisation (démocratique et inspirée par les idéaux de la Commune) est au moins aussi importante que son existence.
Jean-Michel Krivine